◑ LEONE & SIV

C’était arrivé sans que je ne m’en rende compte. J’eus envie de voir Léone. Terriblement envie. Mais je ne voulais pas de ces souvenirs douloureux qui remonteraient à la surface lorsque je croiserais son regard, je ne voulais pas aller vomir dans les toilettes encore une fois après une énième dispute au sujet du prince et de mon comportement. Il ne comprenait rien, il ne comprenait jamais rien et cette situation me mettait hors de moi. J’aurai du souhaité de tout mon cœur être en compagnie de mon futur mari mais ce soir, c’est Léone que je voulais. Je chassais cette idée de ma tête, elle semblait s’implanter dans mon esprit de plus en plus souvent pour ne plus en sortir. Comme pour me prouver à moi même que je n’avais plus besoin de mon ancien meilleur ami, je pris une couverture, un panier de nourriture et je décidais de faire une escapade nocturne. Le ciel était magnifique ce soir, et les étoiles brillaient comme des diamants. Je pouvais observer tous ces phénomènes seule, ce n’était pas parce que Léone ne me rejoignait plus que je devais laisser tomber ce que j’aimais. Evidemment, personnes ne devaient savoir, ce n’était pas vraiment digne d’une future reine d’aller s’allonger dans l’herbe pour regarder les étoiles seule, au beau milieu de la nuit. C’était le seul moment où je n’étais plus celle vers qui convergent les regards. Je savais qu’on ne me punirait pas si je faisais surprendre, j’étais une Von Rosen, et pas n’importe quel membre de la famille. A vrai dire, ils n’oseraient même pas s’approcher et me déranger dans ma contemplation, en voyant mon visage, n’importe qui passerait son chemin me laissant seule avec mes pensées. Je sentais l’herbe au travers de la couverture fine, il faisait frais. Ma robe était d’une couleur pâle, c’était une des préférées de Léone lorsque nous faisions nos sorties nocturnes. Souvent, je faisais exprès de mettre des robes légères pour qu’il me prête son manteau. Ce temps semblait bien loin, et pourtant si proche. Je n’avais jamais fait le point sur ma vie, ma mère m’avait appris à ne jamais regarder le passé, à toujours aller de l’avant en suivant un objectif bien précis. Un jour, ma sœur a osé me demander si je n’étais pas fatiguée d’être toujours sur mes gardes, de toujours devoir faire attention à ma tenue, à mes paroles, à ma beauté. Je n’étais déjà pas bien belle, mais en plus de cela, j’étais devenue une personne exécrable, imbue d’elle même et hautement diabolique. Je ris doucement à ce souvenir. Sigyn était bien placée pour proférer de tel propos, il n’y avait pas plus diabolique qu’elle, il suffisait d’observer son comportement avec son esclave. Ce pauvre Hunter devait être frappé tous les deux jours si ce n’est pas tous les jours. Avant, je racontais mes disputes avec Sigyn à Léone. Depuis quelques temps, je n’avais plus grand monde avec qui parler, Endymion était toujours très occupé avec ses devoirs de princes et je ne voulais pas le déranger plus qu’outre mesure. Je sentis l’envie de vomir me prendre, sans en connaître vraiment la raison, je reposais la pomme que je n’avais pourtant mangée qu’à moitié. Mes repas ne se résumaient plus à grand chose. De toute manière, tout le monde était trop occupé pour s’en rendre compte et tant que je me comportais comme l’héritière parfaite, ils n’en avaient que faire.

Léone s’échappe de la chambrée endormie, silencieux comme une ombre. Ses pieds se posent exactement où il faut pour éviter de faire grincer les marches et ses mains ne tâtonnent que très peu dans le noir, tant il connaît le chemin par cœur. Ce n’est pas la première fois qu’il le fait et ce ne sera pas la dernière fois. Il a passé tant d’années dans ce château qu’il le connaît maintenant comme sa poche et se repérer dans le noir complet n’est pas un problème. A vrai dire, bien qu’il ne partage sa chambre avec personne, disposant de ses appartements, son étage au complet était au courant de la moindre sortie lorsque, première année tout frais il tentait de s’esquiver et pour cause : pas moyen de faire un pas sans que ces fichues lattes n’émettent gémissement sur gémissement. Il les maudissait au début, ces lattes de malheur, mais maintenant il les connaît toutes et c’est avec un pas sûr qu’il disparaît dans la nuit. Ses pas se font de plus en plus rapides tandis qu’il se glisse furtivement à l’extérieur, à la seule lueur des étoiles. La nuit est claire, comme il l’aime. Pas de nuage, juste une lune bien blonde et qui fait resplendir le lac non loin de lui. Pour un peu, Léone s’y perdrait : il serait presque en plein jour qu’il n’y verrait pas la différence.
Son cœur se serre toujours en observant le firmament. C’était une habitude que lui et sa meilleure amie avait prise : aller regarder ces danseuse des ténèbres ensemble. Il aimait cette sensation de n’avoir que le ciel au-dessus de lui et la blonde à ses côtés. Mais elle n’est plus là maintenant. Engloutie dans une spirale malsaine, elle n’est plus elle. Elle n’est plus qui elle était et Léone la supporte de moins en moins et pourtant ce n’est pas le plus intolérant des élèves du château. Et il sent un étau se refermer sur sa poitrine à chaque fois qu’il la croise avec ce prince de malheur qui n’a de cesse de lui prendre ce qui lui est cher : Rozen puis Siv. Pas de pitié. Il le hait ce prince. De toute son âme. Mais il chasse ses pensées agaçantes pour cette nuit, ne pensant qu’à profiter de l’instant présent. Il se dirige vers une place herbeuse qu’il a repéré quelque temps auparavant, sa baguette devant lui, une couverture sous le bras. Tout est calme, tout est silencieux. Aussi quand il voit une silhouette se découper sur le ciel sombre, il ne peut s’empêcher d’étouffer un soupir presque malvenu. Qui ose donc venir lui prendre sa place ? Qui ose le déranger ? Il n’est pas dans son droit, il sait qu’il n’a pas la légitimité, qu’il ne devrait pas être là mais étrangement, il s’approche presque sans peur. Et ce qu’il découvre le chavire littéralement. Elle est là, Siv. Elle est là et elle regarde les étoiles. Comme avant. Et en un instant Léone se croit catapulté en arrière, avant… Avant tout ça en fait. Avant qu’ils ne doivent grandir tous deux en empruntant des chemins séparés. Avant qu’il ne soit fiancé à Lukéria, avant qu’elle ne soit fiancée à Endymion. Avant.
Il ne dit rien et il s’approche. Il la surplombe, elle assise et lui debout, l’observant sans rien dire pendant une longue minute, remettant ses idées en place. Il voudrait dire quelque chose mais il n’a pas les mots. Il ne trouve plus les mots pour s’adresser à elle depuis quelque temps. La blonde doit certainement se demander ce qu’il fait là, à la regarder avec cet air placide. Mais il s’en fiche. Il ne dit rien. Ce n’est qu’après l’avoir faite mariné dans un bain d’incertitude qu’il laisse échapper entre ses dents : « Je vais aller voir ailleurs s’il y a un autre endroit disponible ». Froid et presque sans sentiment, il ne peut pas s’en empêcher. Et il lui tourne le dos sans plus de cérémonie.