Le vaste parc des Vasirilis est plongé dans le noir complet et toute la maisonnée dort depuis bien longtemps. La lune et levée et éclaire de ses blonds rayons l’herbe humide qui entoure la grande demeure familial, donnant au jardin un air fantomatique de film en noir et blanc. Silencieux comme une ombre, Léone se faufile, évitant marches qui grince, latte qui couine et porte qui gémit avec une dextérité donnée par une habitude de longue date. Les Von Rosen sont arrivés dans la journée et Léone sait que ce soir il a un rendez-vous tacite avec Siv Von Rosen, l’une des jumelles. Elle est à ses yeux sa préférée celle qu’il voit toujours comme sa meilleure amie et s’ils sont trop aveuglés par leurs yeux d’enfants pour voir l’évidence cela crève les yeux pour ceux qui les entourent : ils s’apprécient beaucoup. Mais il ne s’en rend pas compte. Et elle non plus. Les jambes mouillées jusqu’au genou, hors d’haleine il parvient enfin jusqu’à leur lieu de rendez-vous. Elle est déjà là, les yeux dans le ciel, observant les étoiles, leurs amies du soir. Il s’assied à côté d’elle, moment partagé. Ils aiment à regarder ensemble cette immensité qui les surplombe, refaisant le monde et imaginant mille scénarios possibles à leur vie future, toujours avec l’autre relativement proche. Ils ne se voient pas grandir l’un sans l’autre et pour cause : ils sont inséparables. D’abord il ne dit rien mais ensuite, frissonnant, il ose demander tout bas, en murmurant :
« T’as pas amené une couverture ? J’ai oublié de prendre mon manteau en sortant »
Elle le fixe, un regard sévère mais amusé dans ses yeux clairs. Il ne la distingue pas bien dans la nuit, juste assez pour constater qu’il vient juste de briser le silence d’un moment de contemplation.
« T’es qu’une petite nature, il fait même pas froid. D’ailleurs tu mérites pas que je te la prête, je suis sûre que tu as oublié de ramener de quoi manger »
Il étouffé un rire et fouille dans ses poches, sortant mille trésors qu’il déploie devant elle, elle qui écarquille les yeux devant ces présents. Il a été fauché dans les cuisines tout ce qu’il a pu trouver. C’est son secret. Et s’il a bien été aperçu par une fille de cuisine, il n’est pas certain qu’elle l’ait reconnu. Et c’est tant mieux. Il le saura demain de toute façon, si les remontrances maternelles parviennent jusqu’à lui. Mais il sait se faire discret et puis c’est un risque qui vaut la chandelle. Elle lui prend la main et elle murmure :
« Bon d’accord, je te la prête. Seulement si tu me redis comment s’appelle cette constellation, juste à côté de la Grande Ourse ».
Il sourit. Ils sont bien. Et les étoiles leurs appartiennent.


Léone regarde avec affection la petite blonde qui tente tant bien que mal de le rattraper. Il monte encore et toujours, s’accrochant aux branches, véritable acrobate. Derrière lui, Rozen est essoufflé mais tient le rythme, se hissant comme elle peut en suivant les traces du blond. C’est presque sans une goutte de sueur que Léone parvient à la branche la plus haute de l’arbre et se met à la narguer ostensiblement :
« Je savais bien qu’une fille n’arriverait jamais à faire ça, elles sont bien trop princesse et précieuses pour ça »
Il la raille tant qu’il peut tandis que les yeux furibonds de ladite princesse le clouent sur place. Si elle avait eu une baguette magique, Léone n’aurait pas été étonné de recevoir un Avada Kedavra en pleine face. Elle était comme ça et il l’aimait comme ça. Il faut avouer que leurs débuts avaient été plus que douteux, Léone n’appréciant pas vraiment que la petite vienne envahir la maison de son grand-père. Il ne supportait pas qu’elle puisse prendre une place dans sa famille, elle qui venait de nulle part et puis, finalement, l’un et l’autre avaient fini par s’apprivoiser à un point tel qu’ils en étaient devenus inséparable : là où était l’un, l’autre n’était pas loin. Il ne lui avouait jamais mais il bénissait le jour où elle était venu taper à la porte du grand-père Vasirilis.
Il se baisse et lui attrape le bras pour la hisser à sa hauteur, l’asseyant sur la branche sur laquelle il a pris place. Elle rouspète, enlève derechef son bras de la poigne du Vasirilis et grimace :
« Je me serais très bien débrouillé toute seule ! Ne crois pas que j’ai besoin de toi ! »
« Ingrate, la prochaine fois je te laisse tomber de l’arbre ! »
« Non, tu m’aimes trop pour ça … »
« Qui a dit ça ? »
Un sourire dans les yeux et sur le visage, il la prend contre lui et lui frictionne le crâne. Elle se dégage d’un rageur coup d’épaule qui le fait presque tomber de son perchoir :
« Sauvage ! Si tu finis princesse un jour tu règneras sur un monde de sauvage ! »
« Dont tu feras partie, morpion ! »
Et le soleil se couche face à eux. Chamailleries. Et surtout amitié. C’est dans leur regard, c’est dans chacun de leurs gestes : ils savent que l’un comme l’autre sont maintenant liés et indissociables. Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que dans quelques jours le grand-père Vasirils va rendre son dernier souffle, laissant derrière lui une Belle désemparée et surtout livrée à elle-même. Ce qu’ils ne savent pas c’est que la belle blonde va être capturée. Qu’elle va se battre bec et ongle pour la Résistance mais qu’elle va se faire rafler. Que Léone va tenter tant bien que mal de la sauver de son funeste destin mais que c’est le Prince Endymion en personne qui remportera l’enchère. Ils ne savent pas que Léone restera à ses côtés quoi qu’il arrive, la soutenant malgré son statut d’esclave. Ils ne savent rien de tout ça. Pour le moment ils sont encore ensemble, et c’est tout ce qui compte.


« Poufsouffle »
La voix du chapeau résonne pendant un quart de seconde dans la Grande Salle avant que des tonnerres d’applaudissements ne retentissent du côté de la table des blaireaux. Tout sourire, Léone se lève. Poudlard lui ouvre ses portes, ce soir et pour toujours. Il fait un clin d’œil à Siv en passant qui semble perdu dans ses pensées ou qui ne le remarque tout au moins pas du tout. Elle n’est plus elle ces derniers temps, n’ayant d’yeux que pour cet Endymion que Léone ne peut pas voir en peinture. Qu’avaient-elles toutes avec lui ? D’abord Belle, rebaptisée Rozen qui entre à son service, Siv complètement aveuglé par cet espèce de prince à la mords-moi le nœud. C’était un peu trop. Ruminant quelque peu sa frustration venant gâcher son entrée chez les jaunes, Léone ne digère toujours pas l’affront que lui a fait le prince. Et il ne comprend pas non plus sa réaction, notamment vis-à-vis de Siv. Rozen, il a cherché à la libérer de son sort. Siv a toujours été son amie de toujours mais se désintéresse de lui, un désintéressement qu’il ne supporte plus. Le cœur légèrement en berne, il n’est plus tout à fait à la fête mais s’efforce de faire bonne figure et découvre très rapidement qu’il lui sera facile, ici comme ailleurs de se faire de nouveaux amis. La faute à son sourire qu’on dit ravageur ou à son nom noble ? Toujours est-il que Poudlard est désormais son terrain, sa seconde maison. Et qu’il compte bien en profiter.


Il la laisse s’en aller. Le cœur serré. Il ne supporte plus de la laisser rejoindre sans rien faire le prince Endymion qu’il ne peut tout simplement plus voir en peinture. La flamme de la rébellion brûle dans son cœur désireux d’en finir avec cette situation plus que détestable. Que ce soit Hunter ou Rozen, il ne souhaite qu’une chose : les libérer, les délivrer de cette emprise malsaine du système sur eux. Son rêve : pouvoir parler librement avec eux, sans devoir se cacher. Son statut de noble l’empêche de pouvoir avoir ne serait-ce qu’une discussion courtoise avec eux et ça le tue tous les jours à petit feu. Il la rattrape, la prend dans ses bras une dernière fois, sa tête nichée au creux de son épaule :
« Ce sera bientôt fini, je te promets … »
Une promesse qu’il tiendra coûte que coûte. Et Rozen le regarde gravement avant de s’évaporer dans le couloir. Le cœur lourd, il repart. Et au détour d’un couloir c’est un nouveau coup de massue qui vient complètement l’assommer. Siv, sa Siv, celle qu’il considérait comme sa meilleure amie, celle à qui il avait promis tant, elle est là. Et son cœur rate un battement. Il la trouve délicieusement belle mais aussi détestablement inatteignable. Le visage figé dans un rire creux qu’il trouve atroce, il voudrait revenir à cette enfance qu’il voit comme idyllique, celle où tout semblait plus simple. Sans un regard, il passe à côté d’elle qui lui jette un coup d’œil qu’il trouve désintéressé –même s’il n’en est rien-. Et toujours il se promet la même chose, et toujours la même phrase tourne en boucle dans sa tête : c’est bientôt fini. Je te le promets.