« Ne t’attache pas à eux. Ils ne nous appartiennent pas » La voix gronde aux oreilles de l’enfant mais il oublie. Les créatures sont grandioses. Il est habitué à voir quelques animaux singuliers mais l’élevage de son père est fascinant. Il reste assis des heures sur l’enclos, à observer celui qui dresse les bêtes infernales. L’enfant veut monter sur leur dos, galoper à travers le vent, défier l’ordre mais il est trop petit et n’atteint pas la bride. Huit ans et déjà aucun sens du danger. Il fonce, tête baissée et s’agrippe à l’aile gauche de l'abraxan, celui-ci le repousse, et le gamin tombe dans la poussière. Roulade. Il recommence, et le même sort l’attend. Nouvelle bousculade. La bête est âgée de deux ans, mais elle est aussi joueuse que l’enfant qu’elle défie. Les jours suivants, il change de tactique. Son père l’autorise à promener l’animal, tant qu’il ne vole pas sur son dos. C’est interdit, seul le père à ce droit et uniquement pour les dresser. Adhémar laisse le cheval dans le plus grand enclos, il veut faire comme l'homme… leur parler. Que leurs oreilles se dressent, qu’ils écoutent attentivement. Il n’a pas de ce don. Lui, ce qu’il possède c’est une patience. Le garçon s’assoit en face de l'équidé, et tous les jours il recommence ce schéma : une promenade, l’enclos, et il se rapproche doucement. Quand soudain l’animal lui tend son aile. C’est une hésitation. Il n’a pas le droit et Baal est trop jeune, il ne peut pas voler. Qu’importe les lois ! Il grimpe, a juste le temps d’agripper la crinière que l’animal part au galop, les ailes sont dressées, maintenant le petit garçon. L’éclat de rire traverse la clairière, dévale les pentes, secoue les arbres. Les ailes battent, cherchent à soulever le poids mais il n’est pas prêt. C’est un vol de quelques centimètres, une ébauche pourtant glorieuse. Mais le père est là, devant leur maison, et Adhémar descend immédiatement du cheval, se cache sous l’aile - fautif et surtout craignant la punition. Des coups de bâton l’attendent, c’est ce qu’il pense. Le contraire. « Si tu arrives à le dresser, tu pourras le garder » La bouche forme un ‘’O’’ de surprise. Mais la joie qu’il éprouve disparait aussi vite qu’il se souvient des paroles précédentes. « Nous ne pouvons pas les garder… ils, ils ne sont pas à toi » L’homme ébouriffe les cheveux du fils. « Ce sera notre secret »

Poudlard. La lettre est arrivée mais il refuse. L’école de magie ce n’est pas pour lui, il n’a pas besoin de cours pour apprendre à manier des sortilèges et la magie, il n’en a pas l’utilité. Adhémar refuse de quitter sa vie, refuse d’en commencer une autre. Car il sait, comprend ce qui l’attend à l’intérieur des murs. La vie qu’il connait ici est paisible. Il connait sa chance, celle de ne pas faire partie des miséreux, d’avoir un semblant de possessions. La petite soeur court dans ses bras, elle le rejoindra dans trois ans. Pendant des jours il reste assis auprès de Baal, argumentant sur le fait qu’il pourrait se passer de magie, qu’elle n’est pas nécessaire pour soigner et élever des abraxants. Le père s’amuse des propos de son fils. Il n’ose pas lui dire qu’il a raison, n’ose pas penser au fait que ses enfants ne reviendront pas. Un dernier au revoir. Il est de ceux qui refusent les règles. De ceux qui attaquent l’injustice. Le jeune sorcier ne défend pas seulement sa maigre carcasse, il prend part à la survie de ses camarades. L’injustice est un élément qu’il ne peut pas tolérer mais malheureusement pour lui, le monde est basé sur ce mot : INJUSTICE. Poudlard lui permet de maitriser sa magie, d’apprendre à se servir de ce fichu bout de bois qu’il refuse de nommer baguette. Les cours sont complexes, et personne n’est là pour aider les mêlés. Rebuts de la société. Il se faufile dans la bibliothèque, y passe des nuits à lire ces ouvrages réservés aux Purs et à la noblesse, mais arrive le soir où il fait un bruit de trop. Ce n’est pas l’enfermement qui l’attend, ça, il a déjà subi. Adhémar doit avoir un tableau relatant ses nombreuses frasques dans le bureau des professeurs et cette pensée le fait sourire. L’expression s’efface rapidement du visage lorsque le premier sort infiltre la chair. La douleur le terrasse. Il se crispe, mord la langue pour ne pas hurler mais c’est de trop, beaucoup trop pour un gamin de dix sept ans. Les punitions sont toujours plus imaginatives à son égard. Mais ils trouvent une faille chez le garçon - la petite soeur. Alys est accusée à tord. Ils ont compris que frapper le gamin ne changerait pas son caractère alors il s’attaquent au coeur et la fillette subit des coups. Les tremblements agitent le corps, les blessures sont infectées. Adhémar fouille le dortoir, de quoi la soigner. Les sorts de médicomagie sont inconnus, c’est une spécialisation, pour plus tard. La gamine murmure des paroles incompréhensible. Il ne peut pas l’emmener à l’infirmerie, il n’a pas confiance. Les plaies sont grossièrement nettoyées. « Viens ici » Le corps est serré contre le sien, il enveloppe la terreur, calme la douleur. Ce sont des murmures dans la langue de leurs ancêtres, au creux de l’oreille, il lui conte une histoire. Les tremblements cessent, il met cela sur le compte de la fatigue mais c’est lui à présent qui souffre, sans comprendre d’où cela peut venir. Son genou, son crâne, ses doigts. Il ressent de profondes coupures mais lorsqu’il regarde, il n’y a rien. Et ça s’amplifie. Il écarte vivement sa soeur, craignant que le mal se propage. C’est un fou. Les mouvements ne sont plus coordonnés. Il perd l’équilibre. L’enfant vient se blottir dans ses bras. « Ady, je n’ai plus mal… regarde! » Il voit, mais ne comprend pas. Une magie inconnue s’est développée en lui, un pouvoir aussi grand que dévastateur.

Défense et protection du royaume. Il aurait aimé arrêter après le simple cursus, ne pas continuer mais que lui restait-il ? Le père était mort un an auparavant, exécuté pour avoir caché un abraxan. La possession de ces animaux lui était interdit, il devait les élever et non pas en garder. Baal. Il se sait responsable de cela. Le doute l’assaille pendant des jours - retourner sur les terres, venger la mort mais sa soeur calme la colère. Lui qui ne rêve que de trancher les têtes de la royauté, voila qu’il entre à leur service. Sa force n’a régale qu’à sa haine et malgré l’impureté de son sang, les Romanova acceptent qu’il rejoigne l’entrainement. Les coups, la douleur, le sang - beaucoup pensent à abandonner mais il avance, veut comprendre l’art de la torture, assimiler les schémas pour mieux les répéter sur ceux qui enseignent. Mais, dès le premier cours de torture, il renonce, fait un pas en arrière. Le don qu’il a développé quelques années plus tôt se manifeste et Adhémar absorbe la douleur des victimes, il avale le mal, l’incruste sous sa peau. Le jeune homme doit sortir, s’échapper. Les rires pavent son chemin « Trouillard » entend t-il vaguement, et d’autres insultes dont il ne veut pas se souvenir. On l’assigne au rang le plus inférieur de ce cursus : l’entretien des armes et des chevaux. Les années s’étiolent et il est obligé de rester dans la capitale afin de remplir le poste auquel on l’a assigné. Chaque arme dont il s’occupe est assimilée à un futur cadavre. Une liste mentale se dresse. De nouvelles années s’écoulent. Une femme entre furtivement dans sa vie, mais elle est incapable d’enfanter, ou est-ce lui le problème ? On rejette la faute sur la femme, toujours. Il l’accuse. Est patient. Et soudainement il lui arrache tout honneur. Détruit la vie. Enora. Le prénom bat encore dans sa mémoire. La guerre débute, il ne peut pas y échapper, engagé de force. Il suit les troupes, leur assure les meilleures armes. Ces destructions, cette douleur s’infiltre à nouveau dans sa chair. Il ne contrôle pas son don. Il chute. Ils ont compris de quoi il était capable. Adhémar devient un instrument. Il est jeté dans une fosse remplie de mutilés. Toujours il est écarté, juste avant que son esprit capitule.

La guerre lui a volé sa capacité à pouvoir se déplacer comme il l’entend. La jambe droite est capricieuse. Utilise ton don proclame joyeusement Alys mais il ne peut pas. Combien de fois a t-il essayé ? Ce serait trop aisé. Le sablier continue sa course infernale. Sa soeur disparait du jour au lendemain. Elle lui laisse une lettre, où elle lui demande de ne pas chercher à la retrouver. Enfant stupide! Il renonce à sa première idée, chasser l’Ombre dans ce pays est impossible. Il connait sa capacité à pouvoir se fondre dans n’importe quel environnement. Mais soudainement, il a peur pour elle, peur qu’elle ait été capturée, peur de la voir enchainée. Quelques lettres lui parviennent. Elle ne parle pas d’elle, mais évoque l’abraxan que son père à sauver, pour lui, pour eux. Cette pensée l’apaise. Du temps encore. Pas d’élevage d'abraxans pour lui. Il n’en aurait pas la force. Garde-chasse à Poudlard, voila ce qu’il est devenu. Pour le silence, et la paix qu’on veut bien lui octroyer.